L’actualité des valeurs du Rotary
mise en perspective par Yves GRIES, avec Paul SCHNEEBELI
La comparaison entre la société du Chicago de 1905, année de la création du Rotary Club, et la nôtre, éclaire l’actualité des valeurs du Rotary de manière frappante.
Paul Percy Harris est né en en 1868 à Racine, petite ville de 9000 habitants dans l’état du Wisconsin, un état du Midwest plutôt rural à cette époque, fief de l’élevage laitier des États Unis.
Il fit ses études primaires et ses années de collège dans le Vermont, un état de Nouvelle Angleterre de caractère rural encore plus marqué que le Wisconsin et en fréquenta également l’Académie Militaire.
Ayant promis à sa grand-mère de devenir quelqu’un d’honorable, il porta ses efforts vers des études juridiques à l’université d’Iowa après un stage dans un cabinet d’avocat.
En 1896, Paul Harris s'installa à Chicago et ouvrit son cabinet d’avocat. Par la suite, au cours d’une promenade en compagnie de Bob Frank, un confrère, il fut frappé de l’attitude amicale de Frank envers de nombreux commerçants. Depuis qu’il vivait à Chicago, il n'avait pas perçu cet esprit de camaraderie qui lui rappelait ses jeunes années dans le Vermont.
« Je conservais l’idée que mon expérience était semblable à celle de centaines, peut-être de milliers d'autres dans la grande ville. ... J'étais certain qu'il devait y avoir de nombreux autres jeunes hommes venus de fermes et de petits villages pour s'établir à Chicago. ... Pourquoi ne pas nous retrouver? Si la camaraderie leur manquait comme à moi, quelque chose en ressortirait. »
C’est ainsi que Paul Harris exprimait l’idée d’origine de la création du Rotary.
Le Chicago de la fin du dix-neuvième siècle ne brillait pas par sa tranquillité et sa convivialité.
Entre 1880 et 1930, la ville se développe de manière spectaculaire passant de 500 000habitants à presque 3,4 millions, dans l’élan de la deuxième révolution industrielle qui s’accompagne d’une paupérisation d’une partie de la population, de mauvaises conditions de travail, de troubles sociaux et d’émeutes souvent sévèrement réprimées.
À cette époque, Chicago fait l’objet de vagues d’immigrations de milliers d'afro-américains du Sud du pays fuyant la ségrégation raciale, puis après la Première Guerre mondiale de migrants d'Europe de l'Est.
En 1905, Upton Sinclair publie La Jungle, un roman qui décrit l'exploitation des immigrés lituaniens dans les abattoirs de Chicago et dont le titre décrit assez bien l’ambiance de la ville à cette époque.
Le 23 février de cette même année, PaulHarris, Gustavus Loehr, Silvester Schiele et Hiram Shorey tinrent une réunion dans le bureau de Loehr, au centre-ville de Chicago, qui sera considérée comme la première réunion du Rotary Club.
Le but de ces pionniers était de réfléchir sur l’action à entreprendre pour développer une association amicale de professionnels locaux basée sur le partage d’une éthique rigoureuse.
Dès lors, trois valeurs fondamentales du Rotary se trouvaient clairement posées : la camaraderie, l’action et l’éthique personnelle et professionnelle.
Par le fait du réseau, la diversité s’imposa d’elle-même.
Il ne restait plus qu’à découvrir l’utilité du Leadership dans la conduite d’actions efficaces et les cinq valeurs de base du Rotary étaient posées.
C’est en 1932, à la fin de l’époque de la prohibition, qu’Herbert J. Taylor expérimenta au sein de son entreprise les quatre questions préalables à chaque décision d’action :
1. Est-ce conforme à la vérité ?
2. Est-ce loyal de part et d’autre ?
3. Est-ce susceptible de stimuler la bonne volonté réciproque ?
4. Est-ce profitable à tous les intéressés ?
Satisfait des résultats obtenus par l’application de cette démarche dans sa vie professionnelle, Taylor décida d’en introduire la pratique au sein du Rotary lors de sa présidence en 1954-55.
Ainsi toutes les actions du Rotary sont gouvernées par un ensemble de valeurs et de principes issues des périodes troublées du Chicago du boom industriel ou de la période de la prohibition.
Qu’en est-il de ces valeurs aujourd’hui ?
La première remarque que l’on peut faire est de noter les points communs entre deux époques marquées l’une et l’autre par des transferts de population importants, amenant des chocs culturels et sociaux de multiples natures, générant une violence sociale quasi permanente et des antagonismes forts.
Si le terme de fracture sociale est d’invention récente, il aurait pu à l’évidence s’appliquer au Chicago du début du siècle précédent.
Sans atteindre le niveau de violence du Chicago de la prohibition livré aux caïds de la Mafia, notre société est en proie à une délinquance multiforme, de plus en plus violente, des pratiques d’entreprise parfois contestables, voire empreintes de concurrence déloyale ou même de corruption.
Quant à notre mutation économique, déjà marquée par le numérique, contrainte à la transition énergétique, et désormais face à l’I.A., n’est-elle pas une révolution industrielle de plus ? On le voit bien, là encore il y a des points communs.
On peut donc affirmer que les valeurs et principes du Rotary restent de la plus grande actualité. L’époque qui est la nôtre, caractérisée par une contestation politique, sociale et même culturelle, est indéniablement en recherche de valeurs d’ancrage, de bienveillance, d’éthique et de soutien, auxquelles le Rotary sait répondre par sa présence et ses actions.